Madeleine est le nom écrit sur le
tibia de la vieille poupée de ma mère, elle est moche, elle reste
sale même lorsque je la lave. Ses cheveux sont collés et emmêlés,
on dirait une pâte à tarte roulée dans la paille.
J’essaye de lui rendre sa dignité.
J’ai un foulard orange flamboyant que
j’enroule autour de ses jambes, de sa taille, je l’attache
à la nuque, parfois je laisse pendre
de la soie pour que sa robe ait un beau mouvement.
Je m'appelle Karl, j’ai 10 ans.
J’ai une sœur Bernardine, en
salopette qui me cours après toute la journée.
Elle me mord, elle jette ses jouets
sous les roues des camions, elle adore les bras de fer,
Elle veux devenir gangster.
On lui offre des flingues en plastique
et des chapeaux de cow-boy, on dit qu’elle est plus courageuse que
moi, plus débrouillarde.
Moi je suis une mauviette parait-il.
Il n’y a que ma grand-mère qui me trouve créatif.
Elle m’aime parce que je suis un
petit garçon doux et sensible.
Les autres ça leur donne presque envie
de vomir.
Comme je joue toujours à la poupée,
mon père, Gérald, me traite de femmelette et jette Madeleine dans
la gamelle du chien.
Quand je vois ce bulldog, cette force
tranquille la mordre comme un os, je sens des larmes qui me brûlent
les joues et la tête entière.
Je serre les paupières pour ne pas
laisser la première goutte sortir et tout mon corps se concentre
dans cet effort.
Je ne peux rien répondre, rien faire.
Alors Bernardine entre en
scène : « Pourquoi tu dis, une « femmelette » ?!»
C’est pas qu'elle me défend ce tyran,
c’est le mot qui la dérange.
Elle me méprise, et voilà qu’on me traite de femme.
Non, vraiment, elle ne me défend pas,
elle à seulement peur d’être dans la même catégorie que moi.
Elle regarde le patriarche fixement,
« Et moi chui quoi ? »
-« Toi, tu es FORTE ma fille !»
-« Forte comme quoi ? »
-« FORTE comme un homme ! »
Elle n’a jamais voulut être un homme
je crois.
Elle pensait être une femme forte.
Et voilà, son père lui dit que ça
n’existe pas.
Alors elle chouine comme une gonzesse,
et Papa aussi, il chiale comme une pisseuse
Parce qu’il a fait pleurer sa fille.
Là, je ne sais plus quoi penser.
J’ouvre la gueule du chien pour
reprendre Madeleine, je les regarde bien tous les deux pour ne pas
oublier cette scène.
je me dit que s’ils veulent être des hommes jusqu’au bout, ils devraient se cacher dans un placard.
Je me demande d’ailleurs si ils
pleurent comme des femmes ou comme des hommes.
Au final, ils ont tous les deux la face
humide, contractée et rouge.
si je m’était laissé aller je ne
pense pas que le résultat eut été bien différent.
Je pourrais les rejoindre pour tenter
l’expérience, mais je me sens d’humeur guillerette, libre comme
un papillon et je joue tranquillement à la poupée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire