mercredi 25 avril 2012

Madeleine (collection égalité) ILLUSTRE PAR AUDREY CLAUSS


Madeleine est le nom écrit sur le tibia de la vieille poupée de ma mère, elle est moche, elle reste sale même lorsque je la lave. Ses cheveux sont collés et emmêlés, on dirait une pâte à tarte roulée dans la paille.
J’essaye de lui rendre sa dignité.
J’ai un foulard orange flamboyant que j’enroule autour de ses jambes, de sa taille, je l’attache
à la nuque, parfois je laisse pendre de la soie pour que sa robe ait un beau mouvement.

Je m'appelle Karl, j’ai 10 ans.

J’ai une sœur Bernardine, en salopette qui me cours après toute la journée.
Elle me mord, elle jette ses jouets sous les roues des camions, elle adore les bras de fer,
Elle veux devenir gangster.
On lui offre des flingues en plastique et des chapeaux de cow-boy, on dit qu’elle est plus courageuse que moi, plus débrouillarde.
Moi je suis une mauviette parait-il.

Il n’y a que ma grand-mère qui me trouve créatif.
Elle m’aime parce que je suis un petit garçon doux et sensible.
Les autres ça leur donne presque envie de vomir.

Comme je joue toujours à la poupée, mon père, Gérald, me traite de femmelette et jette Madeleine dans la gamelle du chien.
Quand je vois ce bulldog, cette force tranquille la mordre comme un os, je sens des larmes qui me brûlent les joues et la tête entière.
Je serre les paupières pour ne pas laisser la première goutte sortir et tout mon corps se concentre dans cet effort.
Je ne peux rien répondre, rien faire.


Alors Bernardine entre en scène : « Pourquoi tu dis, une « femmelette » ?!»

C’est pas qu'elle me défend ce tyran, c’est le mot qui la dérange.

Elle me méprise, et voilà qu’on me traite de femme.
Non, vraiment, elle ne me défend pas, elle à seulement peur d’être dans la même catégorie que moi.

Elle regarde le patriarche fixement,
«  Et moi chui quoi ? »
-« Toi, tu es FORTE ma fille !»
-«  Forte comme quoi ? »
-«  FORTE comme un homme ! »

Elle n’a jamais voulut être un homme je crois.
Elle pensait être une femme forte.
Et voilà, son père lui dit que ça n’existe pas.

Alors elle chouine comme une gonzesse, et Papa aussi, il chiale comme une pisseuse
Parce qu’il a fait pleurer sa fille.

Là, je ne sais plus quoi penser.

J’ouvre la gueule du chien pour reprendre Madeleine, je les regarde bien tous les deux pour ne pas oublier cette scène.

je me dit que s’ils veulent être des hommes jusqu’au bout, ils devraient se cacher dans un placard.
Je me demande d’ailleurs si ils pleurent comme des femmes ou comme des hommes.
Au final, ils ont tous les deux la face humide, contractée et rouge.
si je m’était laissé aller je ne pense pas que le résultat eut été bien différent.
 Je pourrais les rejoindre pour tenter l’expérience, mais je me sens d’humeur guillerette, libre comme un papillon et je joue tranquillement à la poupée.




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